par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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Régulation de l'immobilier : Etudier tous les outils avant de trancher


Les risques macroéconomiques créés par l’immobilier et de la construction en Corse sont réels et importants. Il est nécessaire de mieux réguler ces secteurs au bénéfice de la stabilité économique de l’île. Le débat gagnerait s’élargir à d’autre instrument de régulation.



Régulation de l'immobilier : Etudier tous les outils avant de trancher
La construction de logement, de locaux et les travaux publics génère une activité économique conséquente en Corse. L’emploi salarié dans les entreprises de la construction et de l’immobilier pèse 19 % de l’emploi salarié total (début 2013), avec 12 400 postes de travail pour les deux secteurs. Selon nos évaluations, l’investissement construction (logement + locaux + TP) pèse en Corse entre 15 et 20 % de la richesse créée sur les dernières années (France : max 10 %), soit presque au même niveau de l’Espagne avant le début de la Grande Récession en 2008 (max : 23 % du PIB).

La construction fait donc parti des secteurs économiques majeurs (« systémiques »). Par conséquent, tout choc portant sur ce secteur a des répercussions profondes sur l’économie corse. Ceci plaiderait donc pour éviter toute régulation ou toute action pouvant entraver la bonne marche des affaires.

Cependant, l’équilibre global du système économique corse est menacé à la fois par l’importance de la construction et l’évolution sur la dernière décennie des prix immobiliers.

Premièrement, il faut se souvenir que la construction et l’immobilier sont des marchés qui connaissent des cycles d’investissement très marqués, alternant période de flambée et de crise. Or, comme nous l’avions déjà souligné dans un article sur la place de la construction dans l’économie corse, le cycle haussier à un impact faible sur la croissance potentielle (capacité à générer de l’activité sur le long terme). En revanche, la phase baissière du cycle est très destructrice. Donc, plus le secteur pèse lourd, plus il menace la stabilité économique.

Ce risque n'est pas une vue de l'esprit. Comme le montre le graphique ci-dessus, l'activité (mesurée à travers les mises en chantier) a été très soutenue sur la période 2006-2011 mais les fluctuations ont été fortes (pic à 4 000 chantiers fin 2008 puis chute à 3000 chantiers en 2009, soit tout de même 25 % de baisse en peu de temps). Elle a ensuite explosée en 2012 mais 2013 est une année de repli tout aussi brutal. Cette chute des derniers trimestres commence à produire ses effets avec des pertes d'emplois records depuis le début des années 2000 dans la construction (200 emplois salariés perdus en un trimestre début 2013). On n'est pas encore sur des seuils de crise grave mais la tendance est négative et va en se renforçant.

Deuxièmement, le développement du marché immobilier avec la hausse des transactions et des prix a attiré de plus en plus de capitaux.

Ce flux d’argent provient pour partie de l’extérieur (entre 40 et 50 % des achats dans le neuf sont fait par ces non-résidents sur 2003-2008 en 1e estimation). Le poids des capitaux extérieurs crée donc un nouveau risque macroéconomique majeur, car ce flux est plus volatile que celui des résidents qui doivent se loger même lorsque les prix baissent. Il faut d’ailleurs noter que les loyers (annuels ou touristiques) payés à des propriétaires extérieurs génèrent une fuite de revenus hors de l’île.

Le flux d’argent est aussi domestique. En effet, sur les dernières années le crédit immobilier a été très dynamique en Corse. Il a progressé en moyenne de 11 % par an entre 2008 et 2012. Le problème est que les revenus des ménages (notamment les salaires car le crédit immobilier est plus rare chez les retraités) n’ont pas progressé dans la même proportion (autour de +5 % pour la masse salariale totale entre 2008 et 2012). L’endettement des ménages s’est accru, passant de 36 % du revenu disponible en 2007 à près de 50 % en 2012 (estimation corse-economie), générant un nouveau risque macroéconomique. De plus, le poids des remboursements de crédit augmente dans le budget des ménages et pèse sur la consommation.

Troisièmement, la hausse des prix provoqués par les demandes extérieure et résidente a des répercussions importantes sur le marché du travail, les entreprises et les inégalités.

Les prix élevés se transmettent aussi aux loyers. Ceci freine la mobilité des travailleurs et des chômeurs entre les zones d’emploi de la Corse, avec des conséquences notamment sur l’adéquation entre offre et demande de travail et le chômage de longue durée.

La hausse des prix impacte aussi l’immobilier des entreprises (bureaux, commerces ou industrie) entravant le développement et la compétitivité des entreprises corses. Or, même si le rôle économique de l’industrie est faible en Corse, le problème de la compétitivité concerne aussi les commerces ou le tourisme, car l’érosion des marges pose un problème pour l’emploi en Corse.

Enfin, les grands perdants étant les jeunes actifs et les gagnants les propriétaires foncier et immobilier (globalement les plus de 50 ans), ceci accentue les inégalités de patrimoine et de niveau de vie au sein de la population corse, notamment entre génération. Or, même si les inégalités de revenus ont pu se réduire sur la décennie 2000, elles restent très élevées et surtout elles ne reculent plus depuis 2010.

Quatrièmement, la focalisation des énergies et des capitaux des investisseurs se fait au détriment du développement d’autres branches et de la diversification de l’économie, source de résistance et de croissance.

L’ampleur des risques économiques ne peut rester sans réponse. Une politique de régulation de la demande de logement est nécessaire, au bénéfice de la stabilité économique de la Corse mais aussi au bénéfice de la pérennité des entreprises et des emplois de la construction et de l’immobilier. Le débat actuel est donc le bienvenu.

L’accent est mis sur le contrôle des capitaux entrants, à savoir un statut de résident. Toutefois, à ce stade, d'autres possibilités sont à mettre sur la table : fiscalité (ex : taxe sur les achats de résidences secondaires touchant aussi les résidents), nouvelles règles d'urbanisme, contrôle de la construction de résidences secondaires voire un mix de plusieurs outils. Tout dépend des objectifs politiques que les élus choisiront d’atteindre.

Une limitation stricte du marché (objectif : retour au fondamentaux) passe plutôt par des restrictions à l’achat ou des quotas de résidences secondaires mais provoquerait un choc brutal. Il faudrait donc mettre quelque chose de substantiel en face pour compenser car la Corse ne peut se payer le luxe d’un choc systémique incontrôlable.

Une riposte graduée (objectif : contrôler les cycles immobiliers) serait plutôt à chercher du côté d’une taxe modulable dans le temps (en hausse quand les prix progressent trop, en baisse pour éviter un effondrement du marché) touchant toutes les achats de résidences secondaires ou des règles d’urbanisme différentes (densification, limitation des constructions de résidences secondaires…). Elle a l’inconvénient d’être plus lente à produire ses effets et d’être plus technocratiques dans son fonctionnement. De plus, il faut admettre qu'un pilotage fin du marché est toujours très difficile (cf. échec de la banque centrale américaine en 2006-2007 lorsqu'elle voulait calmer en douceur le marché immobilier via la hausse des taux d'intérêt). Elle a l'avantage d'être plus facile à mettre en œuvre juridiquement, surtout si la mesure porte sur toutes les transactions de résidences secondaires, résidents inclus. Et elle produit des recettes rendant possible une redistribution du surplus de l'immobilier.

Remarque : il serait utile de déverrouiller des bases de données sur l’immobilier aux mains des pouvoirs publics (base de données filocom sur les propriétaires des logements, données impôts et notaires sur les transactions et prix). Le débat y gagnerait beaucoup.

Lundi 26 Août 2013
Guillaume Guidoni