par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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Autonomie pour la Corse et politique économique : 4 exemples de son intérêt


Dans le débat autour de l'autonomie institutionnelle de la Corse, une petite musique joue, elle aurait peu d'intérêt pour apporter des vraies réponses aux problèmes de l'île. A travers quatre exemples, un pouvoir autonome pourrait pourtant agir concrètement sur des problématiques négligées ou dédaignées par le pouvoir central.



Quelques précisions en introduction

Premièrement, il ne s’agit pas ici de rentrer dans un débat de juristes mais de regarder ce que l’autonomie institutionnelle pour la Corse donnerait dans 4 exemples concrets du domaine économique. Il ne s’agit donc pas de rentrer dans le détail de ce qu’un article 72-5, 73-5, 74 ou XY permet ou pas. D’autres sont légitimes et le font bien.

Deuxièmement, il faut quand même donner un sens à « autonomie institutionnelle ». Trois éléments semblent importants.

I/ L’« autonomie » étant un concept flou, rappelons la définition de l’Académie française : « possibilité de s'administrer librement dans un cadre déterminé ». Ce qui est très différent de l’indépendance (« possibilité d'agir sans intervention extérieure ») et suppose bien la capacité de se fixer ses propres objectifs et les moyens d’y parvenir, le tout dans un cadre où tout n’est pas possible. Il s’agit donc de disposer de compétences sans « chapeautage » autre que celui d’un contrôle de légalité, avec une liberté d’action et une capacité en termes de moyens législatifs ou réglementaires.

La défunte révision constitutionnelle de 2018 proposait pour la Corse un article 72-5 dans la Constitution de Ve République :

« La Corse est une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72.
Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales.
Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s’exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou le règlement. Ces adaptations sont décidées dans les conditions prévues par la loi organique. »


Très clairement, il s’agissait d’aligner en grande partie le régime constitutionnel de la Corse sur celui des des Départements et Régions d’Outre-Mer. La formulation est un quasi copier-coller de celle de l’article 73 de la Constitution (régissant les DROM), tel qu’il est rédigé depuis 2003 (d’ailleurs plutôt sur celui de l’île de La Réunion, à savoir une adaptation possible dans tous les domaines pour le législateur ou le gouvernement et un pouvoir propre d’adaptation offert à la Collectivité uniquement dans ses domaines de compétences).

Même si elle n’est pas sans intérêt, cette « Réunion-isation » de la Corse n’est pas une forme autonomie. Dans les DROM, la réalité du pouvoir d’adaptation est dans les mains du ministère des Outre-mer. Il suffit de lire les rapports et études produits sur l’Outre-mer pour s’en convaincre. Depuis 2003, une vingtaine de demandes a été formulée dans les DROM, surtout dans le domaine de l’énergie, des transports et de la formation professionnelle. La Réunion, où l’habilitation est aussi limitée aux domaines de compétences, n’en a fait aucune. Le processus est très lourd. De surcroît, toutes les demandes faites n’ont pas été accordées. A l’opposé, les adaptations directes, à l’initiative du gouvernement, sont nombreuses dans le domaine de la loi ou du règlement. Les mêmes causes créant les mêmes effets, il est probable que le centre effectif du pouvoir d’adaptation dans le cadre d’un article 72-5 aurait aussi été à Paris.

Autonomie n’est donc ni dans un article 72-quelque-chose, ni dans un 73-autre-chose.

II / En droit français, l’autonomie est possible pour les territoires d'outre-mer régis par l'article 74 de la Constitution (la Nouvelle-Calédonie est un cas très à part).

La Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont un « statut d'autonomie » avec une dévolution du pouvoir législatif effectif. On parle ainsi de « lois de pays » pour les textes votés par l’Assemblée de Polynésie dans le champ législatif. Les lois et règlements nationaux ne sont plus applicables de plein droit. Il y a des limites, comme pour tout cadre. La Constitution prévoit explicitement la liste des compétences qui ne peuvent être transférées (ex : libertés publiques, monnaie, crédit ou changes...). Enfin, les textes qui, en raison de leur objet, sont nécessairement destinés à régir l'ensemble du territoire de la République s’appliquent aussi en Polynésie.

Dans le domaine économique le droit local va très loin : protection sociale, droit du travail, droit commercial, fiscalité. Toutefois, le fait que ces collectivités soient en dehors de l’UE leur permet aussi de déroger à certaines règles du marché unique, notamment avec des règles permettant de favoriser l’emploi local ou encore restreignant l’accès aux professions libérales. Rappelons par exemple que la monnaie de la Polynésie est le Franc Pacifique, gérée par une banque centrale propre, l’IEOM. En fait, en dehors des matières financières, les institutions locales sont décisionnaires dans les matières économiques. En comparant avec les régimes institutionnels des autres îles ou régions méditerranéennes, la Polynésie ressemble plus à un Etat associé qu’à une région.

Que ce soit en Italie ou en Espagne, les régions insulaires disposent certes d’un cadre spécifique et d’un pouvoir législatif dans certains domaines. Ce qui peut les rapprocher de l’archipel. Mais, ce pouvoir est encadré, avec une liste limitative des pouvoirs régionaux et une prépondérance du droit national sur le droit local. De plus, sur le plan économique, on a une pleine intégration aux territoires nationaux. Les grands équilibres de la politique économique restent de la compétence de l’État central (cf. Article 117 de la Constitution italienne et Article 149 de la Constitution espagnole).

Ainsi, En Italie, l'État a le pouvoir exclusif ou principal de légiférer dans les matières relevant (cf. liens précédents pour le détail) de la monnaie, des changes, des marchés financiers et du cadre fiscal général (harmonisation des budgets, péréquation) mais aussi de la concurrence, de la législation du travail ou de la protection sociale. En Espagne, la compétence exclusive s’applique aussi aux domaines financiers, du travail et de la protection sociale. Sardaigne et Îles Baléares ont des statuts renforcés mais sans déroger significativement sur le plan des compétences.

L’autonomie polynésienne suppose une rupture peu compatible avec l’imbrication économique Corse-continent et avec sa place dans le marché commun (la Corse n’est même pas classée comme région ultra-périphérique).

Il paraît donc légitime de prendre comme référence les situations sarde ou baléare.

III / Partant du principe que décider localement de ce qui n’a qu’une portée locale dans son effet et son principe ne pose aucun problème pour le caractère unitaire de la République, comme le rappel l’article 72 de la Constitution (« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon »), l’autonomie constituerait à disposer soit d’un pouvoir législatif+réglementaire (compétences purement locales), soit de disposer d’un pouvoir réglementaire pour d’adapter les orientations nationales (compétences partagées), en remplaçant le ministère ou le préfet par le pouvoir élu en Corse.

Ce pouvoir ne serait pas sans contrôle, l’Etat restant garant du contrôle de légalité, la Commission européenne du respect des règles du marché unique et la justice administrative restant compétente pour sanctionner les abus de pouvoir et les textes non conformes aux règles.

Donc l’autonomie ne serait pas sans limite, y compris dans les domaines de pleines compétences.

Intérêt de l’autonomie : autonomie financière

L’autonomie financière est normalement déjà inscrite dans la Constitution. L’article 72 précise que :

« Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.
Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.
Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre.
Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.
La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »


Une collectivité peut déjà disposer de ressources propres, avec un pouvoir de taux, pour exercer ses compétences avec les moyens nécessaires. Or, ce à quoi on a assisté depuis près d’une décennie est une lente mais constante évolution à la tutelle financière par l’Etat. Les ressources propres sont rognées, voire supprimées au nom de la lutte contre des inégalités territoriales ou du combat contre les impôts de production.

Le projet de suppression de la CVAE perçue par les régions en est le dernier exemple. Il couperait le dernier lien direct entre les régions et l’activité économique sur leur territoire. Les régions ont la compétence « Action économique » mais bientôt aucune incitation fiscale à l'exercer efficacement. De plus, étant indexée sur l'évolution nationale, la Corse ne bénéficiera pas du dynamisme de la TVA prélevée sur place, qui a progressé entre 2004 et 2019 deux fois plus vite qu’au plan national. La Corse perdra aussi la dynamique de la CVAE, là encore plus forte que la moyenne.

Peu de pouvoir de taux, pas de possibilité de lever l'impôt maintiennent les collectivités dans la dépendance ainsi que dans une forme de dilettantisme. Les dotations, qui évoluent suivant le bon vouloir de l’Etat central (rappelez vous les gels de dotations sous de la présidence Hollande), servent plus au contrôle sur les collectivités locales qu'à la péréquation.

La guerre aux impôts de production va se traduire par une tutelle financière encore plus marquée des régions. Sans même parler autonomie fiscale, on ne cesse de s'éloigner d’une simple autonomie financière. Et la tutelle financière est évidemment une forme de tutelle politique.

Or, en Corse, les enjeux d’investissement publics à venir sont conséquents : logements, vieillissement, infrastructures énergétique, numérique, de transport ou urbaine, gestion de l’eau ou des déchets, R&D… Sauf à n’avoir qu’une vision palliative – ce qui est un choix stratégique possible –, ils doivent trouver des réponses.

Pour bâtir ou entretenir des biens communs, une autonomie financière réelle (lien direct entre fiscalité locale et activité locale : pouvoir de taux pour certaines taxes, assiette locale pour d’autres) donnera plus de cohérence et d’efficacité. En effet, les contrats de plan, programmes ou politiques contractuelles deviennent tentaculaires et, de fait, font perdre aux collectivités la primauté en termes de choix politiques. Cela provoque des délais, des retards et des disfonctionnements que l’on constate tous.

En cassant la sur-dépendance aux dotations ainsi que la dérive évidente de la part de l’Etat central vers la tutelle, l’autonomie financière pourrait donner aux autorités politiques en Corse la pleine maîtrise de leur priorité, mettant fin au pilotage kafkaïen actuel.

Au niveau des régions italiennes ou espagnoles, il n’est pas rare de voir des répartitions approchant ou dépassant les 50/50 sur une large part des impôts. Où placer le curseur, trouver l’équilibre entre acceptabilité par l’État de céder une partie de ses recettes en contrepartie d’une baisse des dotations et le maintien du principe de solidarité n’est pas simple mais n’a rien d’insurmontable.

Bien évidemment, cela n’exclut pas un effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement afin de disposer de plus d’épargne publique. Cela renforcera même une réelle maîtrise budgétaire, les dérapages incontrôlés ne pouvant plus être imputés à d’autres.

Intérêt de l’autonomie : autonomie « immobilière »

Dans l’immobilier, le débat a surtout tourné autour du « statut de résident ». Le statut du résident, tel que voté le 25 avril 2014 par l’Assemblée de Corse, est définit comme suit : « l’accès à la propriété foncière et immobilière ne devra pouvoir être exercé, de manière automatique, que par les personnes physiques et morales considérées comme ayant le statut de résident ». Est résident une personne pouvant « justifier de l’occupation effective et continue d’une résidence principale située en Corse, durant une période minimale de cinq années ». Pour résumer, il s’agit de restreindre l’acquisition de tous biens fonciers et immobiliers par des acheteurs extérieurs à l’île. Le critère choisit est celui du lieu de résidence auquel s’ajoute une condition de durée de résidence.

Ceci est très proche des règles existant à Malte, limitées toutefois aux seuls achats de résidences secondaires. Malte restreint l'acquisition et à la possession de biens immeubles aux fins de résidences secondaires par des ressortissants des États membres n'ayant pas résidé légalement à Malte pendant une période de cinq ans au moins. Deux autres territoires européens ont des restrictions semblables : les îles Åland (tous biens fonciers et immobiliers) et le Danemark (résidences secondaires). Il est très important de souligner que tous les territoires disposant en Europe d’un régime spécial sont présents au sein même des traités européens (Danemark : protocole n°32 annexé au traité sur l’Union européenne. Iles Aland : protocole n°2 annexé à l'acte d'adhésion de la Finlande de 1994. Malte : protocole n°6 annexé à l'acte d'adhésion de 2003).

Pour les autres territoires européens, la Commission européenne est très stricte, car cela touche aux quatre libertés, fondements du marché intérieur (libre circulation des personnes, des capitaux, des services et des marchandises). Le traité d’adhésion à l’Union européenne de Chypre de 2003 autorisait l’île à maintenir des restrictions à l’achat d’une résidence secondaire jusqu’en 2009. Mais les autorités chypriotes ont laissé courir ce délai. La Commission a alors demandé au pays de se mettre en conformité avant de durcir le ton en 2011 puis de saisir la Cour de justice de l’UE fin 2011. Le gouvernement a changé la loi en urgence fin 2011, mettant un terme aux restrictions sur les achats de résidences secondaires pour les ressortissants de l’UE et de l’Espace Economique Européen. Une autonomie permettant de fixer un certain nombre de règles de niveau législatif et réglementaire dans ce domaine aurait donc des limites.

L’article 74 de la Constitution prévoit que dans les collectivités autonomes « des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ». Ces restrictions ne sont pas sans limites, le juge veille à ce que les restrictions se bornent à ce qui est strictement nécessaire à la satisfaction des besoins de la population locale. Pour les autres parties du territoire, c’est le droit commun qui s’applique et les restrictions acceptables rejoignent celle imposées par le cadre de l’UE.

Comme le rappelle la Commission, les traités européens permettent de restreindre la libre circulation des capitaux. Les États membres peuvent prendre des mesures favorisant par exemple les activités agricoles, le logement social, le maintien d’une population résidente ou le maintien d’activités économiques indépendantes du tourisme sur certains territoires.

A titre d’exemple, en Autriche ou dans la province de Bolzano en Italie, les autorités locales ont mis en place des restrictions ciblées pour l’acquisition de résidences secondaires. Elles sont subtiles dans leur rédaction pour se conformer aux règles européennes. Ces restrictions doivent être remplir des conditions : elles doivent servir dans un but d’intérêt général ; leurs objectifs doivent être clairs ; les mesures doivent se limiter à ce qui est strictement nécessaires pour atteindre ces objectifs ; les mesures doivent avoir une effectivité démontrable ; les mesures doivent rester proportionnelles, en ne conduisant pas à restreindre excessivement une liberté. Un éventuel « statut » doit donc a minima remplir ces critères. Ainsi, la législation adoptée en 2018 dans la province de Bolzano n'a pas été mise en cause par la Commission européenne. De même, dans le cas de l’Autriche, le Tribunal de l’Union a jugé qu’il est bien possible d'établir des restrictions sous conditions de non discrimination suivant l'origine des acheteurs

Face à l'hostilité du pouvoir central pour envisager la moindre mesure, l'autonomie donnerait aussi pas mal de latitude du côté des résidences secondaires (mais vraisemblablement très peu voire aucune pour les résidences principales). Quand on connaît les problématiques autour de l’accès au foncier ou l’immobilier dans les zones de fortes tensions touristiques, agir localement, finement et démocratiquement aurait du sens.

Intérêt de l’autonomie : autonomie et concurrence

Du côté des débats autour du niveau des prix et des défauts de la régulation dans l’île, on peut noter que malgré un avis de l’Autorité de la concurrence rendu en 2020, le gouvernement n’a repris à son compte aucune des recommandations qui relevaient de sa compétence exclusive. Aucun changement de nature réglementaire, aucun choix législatif. Plus largement, aucune réaction. Il n'y a donc clairement pas grand chose à en attendre.

Or, la faiblesse des politiques de régulation économique a fait l’objet d’une politique spécifique dans les territoires d’outre-mer. Pour répondre aux problèmes les plus évidents, une loi (loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer) a spécifiquement traitée de la concurrence et du contrôle des concentrations.

Cette loi est partie d’un constant très proche de celui que l’on peut faire en Corse : le coût élevé des produits de consommation courante. On notera que le gouvernement avait demandé à l’Autorité de la concurrence un avis concernant sur la structuration des secteurs des produits de grande consommation et des carburants en 2009. Alors qu’en Corse, le silence règne, la loi de 2012 a repris une partie des recommandations pour « mettre en place un jeu normal de la concurrence outre-mer avec des prix soumis à une pression concurrentielle effective et une liberté d’accès pour de nouveaux acteurs économiques ». Les mesures concernent la régulation des prix, l’interdiction des exclusivités d’importation et le renforcement des pouvoir de l’Autorité de la concurrence (pouvoir d’injonction élargit, seuils de contrôle abaissés). Sur les prix, la loi permet surtout de les règlementer pour quelques biens, dans un cadre assez souple.

Dans le cadre de son autonomie, la Polynésie Française fixe elle directement ses règles. La Nouvelle Calédonie (pouvoir autonome plus élargi) aussi. Elle ont créé deux autorités spécifiques : l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie en 2018 et l’Autorité polynésienne de la concurrence en 2015. Les lois de pays leurs donnent quasiment les mêmes pouvoirs que l’Autorité nationale et adaptent directement le cadre général (taille de marché, seuil, position dominante).

L’autonomie partielle ou large dans ce domaine devrait permettre là encore d’agir plus rapidement, en apportant des réponses concrètes. Quand le gouvernement central reste indifférent, l’arme au pied, un pouvoir autonome élu pourrait choisir d’étendre ou d’adapter pour tout ou partie du droit de la concurrence à la réalité de la Corse. Cela ne règlera pas tout mais on pourrait sortir de certaines ambiguïtés néfastes.

Là encore, il faudra sans douter trouver les voies et moyens pour construire une compétence partagée plutôt que complète. C'est le cas en Espagne avec des autorités régionales qui s'articulent avec l'autorité nationale. Il existe ainsi une autorité basque et une autorité catalane de la concurrence. Ce n’est pas tant la taille de l’économie qui compte (Malte et l’Islande ont des autorités nationales) qu’une bonne délimitation de ce qui relève de la compétence nationale et de ce qui relève de la compétence locale.

Intérêt de l’autonomie : emplois et salaires

Le marché du travail en Corse souffre de sa fragmentation. Notamment, la saisonnalité du marché du travail se retrouve à la fois dans les chiffres de l'emploi et ceux du chômage. L’importance de la saisonnalité et des contrats très courts (moins de 3 mois) s'est renforcé depuis le milieu des années 2000. Les moins de 35 ans ont été les plus touchés. L'importance des contrats courts et du temps partiel réduit de façon importante la force de travail réellement active tout au long de l’année en Corse, donc la production de richesse associée. Les répercutions sur la qualité de vie de ces salariés dépassent le marché du travail, notamment avec un accès plus compliqué au crédit ou à l’immobilier.

Structurellement, le marché du travail en Corse est à la source d’une large part des difficultés sociales. Les personnes les plus fragiles en termes de conditions de vie sont aussi celles dont les conditions d’emploi se sont le plus dégradées. Elle est aussi confrontée à la progression des recours aux emplois précaires et à une saisonnalité qui reste prépondérante. La fragmentation de l’emploi et la part du temps partiel, parfois imposé, réduisent l’intérêt pour les jeunes, les personnes inactives ou les précaires – et plus particulièrement les femmes cheffes de famille monoparentale – de rentrer sur un marché du travail. Les rémunérations sont forcément faibles au global (nombre d’heures réduit sur une année) et les coûts liés au travail souvent non pris en charge par les TPE (transport, garderie). L’instabilité dans l’emploi engendre des allers-retours entre période de travail et période de chômage (Pôle Emploi, services de la CAF, RSA), avec des tracas administratifs et financiers (réductions ou des pertes de prestations puis retour à la situation antérieure).

De plus, du fait de sa structure sectorielle et géographique (zones d’emploi parmi les plus petites de France), le tissu d’entreprises présente des positions dominantes locales induisent des rigidités dans l’appareil productif ou commercial et des désavantages les salariés. Pour certains métiers (situation de monopsone), les salariés ou les chômeurs perdent de leur pouvoir de négociation sur les salaires ou les conditions de travail.

Pourtant, ces deux problématiques n’ont jamais été prises en considération par les politiques nationales.

Il existe des réponses possibles. Le CDI tourisme est soutenu par certains élus et des organisations patronales. Il vise à annualiser le temps de travail d’un salarié auparavant en CDD saisonnier en contrepartie d’une aide correspondant à une partie des indemnités chômage qui auraient dû être payées par Pole Emploi. Il présenterait l’avantage de faire basculer vers un emploi permanent une partie des saisonniers. Toutefois, cela ne peut se faire sans contrepartie de la part des entreprises, comme une limitation du recours à des contrats saisonniers en parallèle.

Plus largement, il paraît nécessaire de mener une action pour socialiser une partie de profits réalisés par une activité très consommatrice de biens communs. Une sur-taxation des profits aurait du sens tout comme une hausse du salaire minimum dans les activités touristiques.

Enfin, alors que l’emploi est situé en Corse pour près de moitié dans des entreprises de moins de 10 salariés, il est aussi nécessaire d’organiser différemment le dialogue social. Pour équilibrer le pouvoir de négociation salariale entre salariés et patronat, une organisation nouvelle doit être mise en place au niveau régional, a minima pour les branches.

Si l’autonomie ne pourrait empiéter pour des raisons pratiques sur le droit du travail, une compétence partagée permettrait de mettre en place une législation adaptée autour des négociations collectives. Des négociations entre syndicat de salariés et organisations patronales se tiendraient avec une fréquence régulière (1 an ou 18 mois), la Collectivité étant tiers de confiance mais aussi garante de la signature et de la mise en œuvre de conventions salariales collectives. Ce système est un levier de démocratie sociale qui donne des résultats concrets et positifs pour les salariés mais aussi les entreprises dans les pays où cette pratique institutionnalisée existe (cf. Islande).

En conclusion, un pouvoir autonome ne sera ni omniscient, ni omnipotent, ni même omniprésent. Mais, il ne sera pas impuissant.

Mardi 10 Mai 2022
Guillaume Guidoni