par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
Inscription à la newsletter

Le vieillissement, la menace fantôme


Article publié au mois d’octobre 2009 dans le magazine Corsica.



Le vieillissement, la menace fantôme
Il est assez largement connu que la Corse, comme toutes les autres régions européennes, va traverser dans les 20 à 30 prochaines années un choc démographique lié aux départs à la retraite des générations du baby boom. Les générations de 1950 à 1970 vont partir à la retraite dans les années 2010 à 2030, en supposant que l’âge légal reste vers 65 ans. Elles représentent plus de la moitié des actifs (travailleurs + chômeurs) dans l’île. Cependant, même si le phénomène est assez médiatisé, certaines de ses conséquences ne sont pas toujours exposées.

Ce retrait, par son ampleur, comporte des risques pour l’économie de l’île. Il pourrait d’abord entraîner une baisse de la population active. En considérant uniquement les salariés, environ un tiers de ceux actuellement en poste partiront d’ici à 2020 et près de la moitié d’ici à 2030. Ceci ne poserait pas de problème particulier si la sortie du marché du travail des seniors était compensée par l’entrée des générations plus jeunes. Or, en Corse, uniquement avec le vivier de jeunes présents, la population active de la région pourrait diminuer de près de 10 %. Ceci impliquerait une baisse importante du potentiel de croissance.

Comme le concept de décroissance est revenu à la mode ces derniers temps, il convient d’en préciser quelques conséquences pour les ménages corses. Avec une croissance plus faible, l’économie créera moins d’emplois et moins de richesse. On aura donc moins de revenus à distribuer aux ménages, ce qui ne permettra pas de réduire la pauvreté endémique de l’île, ni d’augmenter les salaires. De plus, les ménages n’auront pas les ressources supplémentaires nécessaires au financement de l’augmentation des coûts liées à la prise en charge des parents âgés par les enfants.

Une autre conséquence néfaste de ces départs à la retraite se pose au niveau des revenus totaux de la population. Le passage de l’activité à la retraite entraîne une perte financière. Comme pour la population active, ceci ne pose pas de problème pour l’ensemble de l’économie si l’on ne fait que perdre d’un côté pour retrouver de l’autre. Le cas du Japon, pays développé le plus avancé dans le processus de vieillissement, montre que rien n’est moins sûr. Dans ce pays, le généralisation du travail précaire (emplois temporaires et
CDD) et du temps partiel a créé un marché du travail profondément différent pour les jeunes générations par rapport à leurs aînés. Les carrières se font plus erratiques et la modération salariale plus prégnante. Au final, au même poste et même ancienneté, les salaires réels (corrigés de l’inflation) sont plus faibles aujourd’hui que dans les années 80. De plus, les réembauches de seniors complétant leur pension pèsent sur les salaires. Il n’est pas certain que cela se produise en Corse, mais les similitudes sont inquiétantes.

Il est un secteur où le vieillissement va poser un grave problème pour sa pérennité, l’agriculture. Plus des deux tiers des exploitants ont plus de 40 ans. Sans une forte progression des installations, très improbable, les départs risquent de désorganiser profondément la filière, limitant les possibilités de coopération et d’entraide. Ceci conduira à isoler les agriculteurs qui restent, fragilisant les actions collectives (AOC, promotion…) et diminuant encore plus l’attractivité du métier.

Toutefois, il est possible d’agir pour limiter les impacts négatifs. Premièrement, afin de limiter la perte de population active, il faut agir fermement pour faire se redresser le taux d’emploi des plus de 55 ans (Corse : environ 35 % ; objectif Lisbonne : 50 %) ainsi que celui des femmes. De plus, il faut accompagner les entreprises pour favoriser l’emploi durable des jeunes. Le plan Cors’Emploi de la CTC est une bonne réponse mais reste financièrement en deçà des enjeux. Enfin, il faut aussi penser à la mise en place d’une politique démographique. En effet, la Corse ne fait pas assez d’enfants et peine à attirer de la main d’œuvre qualifiée (en dehors de l’administration).

Pour conclure, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que des mauvais côtés à ce renouvellement générationnel. Il peut s’accompagner d’un renouvellement des pratiques, à une plus grande maîtrise des nouvelles technologies et de leurs possibilités. L’appel d’air va mettre plus rapidement en situation de responsabilité les jeunes générations, par rapport à ce que l’on a observé durant les années 1990 et 2000. De nouvelles pratiques et de nouvelles entreprises peuvent ainsi émerger. L’avenir nous dira si cela n’est qu’un vœu pieux.

Article publié au mois d’octobre 2009 dans le magazine Corsica.

Lundi 31 Octobre 2011
Guillaume Guidoni