par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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Une nouvelle étape vers l'assistance emploi


Le projet de réforme de l’assurance chômage présenté cette semaine marque une étape majeure dans le basculement vers un système d’assistance au retour ou à l'inclusion dans l'emploi étatisé.



Une étape de plus vers la fin de l'assurance chômage

Une nouvelle étape vers l'assistance emploi
Les idées directrices indiquées par le ministère du travail dans sa présentation de la réforme sont dans la continuité des premières réformes (code du travail et formation) et dans la droite ligne du projet de 2017 du candidat Macron.

Le passage du système assurantiel (bismarkien), basé sur les cotisations et réservé aux salariés perdant involontairement leur emploi, à un système d’assistance, ouvert voire universel et financé par l'impôt donc par la société (beveridgien), est décrit clairement dans le programme présidentiel de 2017 : universalité, liens avec des objectifs sociaux et formation en plus du retour à l'emploi, contraintes. L’étatisation est explicite : « Parce qu’il assume en dernier ressort la responsabilité du chômage et de la précarité, l’État prendra en charge le système d’assurance-chômage », certes en associant les partenaires sociaux mais pas que (« parties prenantes »).

Ce glissement est déjà engagé depuis plusieurs années, avec la fusion ASSEDIC/ANPE pour former Pole Emploi. L'idée était bien de réunir l'assurance et l'aide au retour à l'emploi dans un système intégré. Sur le plan sémantique, on parlait d'indemnité chômage ; désormais, c'est une allocation appelée « aide au retour à l'emploi ». Mais le gouvernement accélère clairement depuis 2 ans. La suppression des cotisations chômage pour passer à un financement via la CSG était la rupture la plus évidente dans le principe assurantiel. Le durcissement du contrôle des chômeurs et la réforme de la formation professionnelle pointaient aussi dans cette direction. La logique d’ensemble du programme de 2017 est globalement suivie. On pourrait y voir les prémisses de la fameuse flexisécurité scandinave.

Un changement de logique loin d'être neutre

L'assurance chômage vise à compenser la perte d'un revenu et de donner les moyens de retrouver un emploi avec le moins de dommages possible. L'assistance vise plutôt à accompagner un public, jugé plus ou moins en difficulté sur le marché du travail, vers l'emploi. Cette prestation sociale peut donc imposer des contreparties plus strictes de contrôle, de formation ou d’acceptation d'emploi car il n'y a plus un droit à indemnisation automatique ou bien une nécessaire prise en compte la situation antérieure. La prestation peut ainsi être ouverte à des catégories qui étaient jusqu'ici non cotisantes (indépendants) ou exclues (démissionnaires) dans le système assurantiel. Poussé à l'extrême, un tel système peut très bien déconnecter l'allocation du revenu perdu, avec une aide forfaitaire, fixe quelque soit l’allocataire ; une sorte de RSA-chômage.

Un système d'assistance est plutôt adapté à l'instabilité dans l'emploi. Les parcours chaotiques des actifs, sur fond de d’allers-retours entre des statuts différents (surtout salarié vs indépendant) peuvent provoquer dans le système assurantiel (on assure un risque, pas une quasi-certitude) des défauts de couverture chômage pour les personnes qui ont pourtant des besoins plus importants de reclassement ou de requalification pour se réorienter. Certains actifs peuvent avoir un emploi mais aussi subir un déclassement en termes de compétences, avec des mutations technologique, numérique et environnementale qui changent la technicité des métiers. Les successions de périodes de chômage et de contrats courts dégradent l'employabilité, voire la compromettent chez les chômeurs de longue durée. Ceci résonne avec les débats sur l'« uberisation » du marché du travail et une précarisation plus importante qui seraient – pour beaucoup mais sans vraiment d'éléments de preuves convaincantes – inévitables.

Ça peut aussi apporter des réponses aux problème d’adéquation entre offres et demandes d’emploi, importants notamment en Corse. D’après les informations sur les recrutements de Pôle Emploi, les métiers sur lesquels les recrutements sont jugés très difficiles en Corse sont divers : métiers de la restauration, coiffeurs, esthéticiens, techniciens et agents de maîtrise de la maintenance et de l'environnement, techniciens des services aux utilisateurs en informatique, techniciens des services comptables et financiers, chefs de chantier… Ceci illustre d’une part le manque de personnel avec des compétences professionnelles pointues parmi les demandeurs d’emploi, d’autre part les mutations en cours en termes de compétences, y compris au sein des secteurs dits « traditionnels », avec une hausse des niveaux d’expertises et de maîtrise de nouveaux outils. Or, en janvier 2018, 22 % des demandeurs inscrits n’avaient pas de diplôme et 18 % seulement un bac général. Pour les chômeurs de longue durée ou bien pour les personnes inactives le manque de qualification est plus important encore. De même, les jeunes ont un niveau de formation peu satisfaisant. Pour les 20-24 ans la part des actifs sans diplôme est de 26 % en 2014 et de 22 % pour les 25-29 ans en Corse, contre 20 et 15 % respectivement en France métropolitaine. De surcroît, l’insertion des jeunes sur le marché du travail reste très difficile, réduisant la possibilité d’acquérir de l’expérience professionnelle.

Dans ce contexte, on peut reprocher au système assurantiel de ne pas élargir assez la question de l’accès à l'emploi aux questions de formation continue ou plus sociales (ce qui pourtant n’est pas vraiment le cas compte tenu de l’étendue de ce qu’on demande à Pôle Emploi). Aux problèmes de qualification s’ajoutent les obstacles matériels (transport, garde d’enfant…), générationnels et financiers (pertes de prestations) qui forment des barrières à l’emploi. En Corse, le cloisonnement entre microrégions aggrave cette inadéquation. L'île compte 4 des 10 plus petites zones d’emploi de métropole. La petite taille géographique et numérique limite forcément les possibilités de trouver un travail, sauf à déménager ou à subir des trajets longs et coûteux. Ceci rend les recrutements plus complexes aussi pour les entreprises. Le système assistanciel, mobilisant des ressources plus larges, peut répondre à des enjeux encore peu pris en compte, comme celui d’un parcours coordonné « action sociale-formation-emploi ».

Des dérives possibles

Le projet comporte aussi son lot d’inconnues et de risques. Au premier rang, une illusion managériale et un certain autoritarisme sous couvert de bon sens et de pragmatisme. On a beaucoup parler du contrôle et de l’obligation d’accepter des offres d’emploi « raisonnables ». Outre la définition de ce que peut être une offre d’emploi adaptée et impossible à refuser, cela pose la question de la connaissance réelle du marché par l’Etat ou Pôle Emploi. Contrairement à ce que l’on peut penser, Pôle Emploi n’est qu’un acteur parmi d’autre dans les processus de recrutement. Pôle Emploi n'a la connaissance directe que d'une fraction des offres d'emploi (autour de 46 % au T2 2017 selon ses propres estimations). Une grande partie du marché lui est inconnu, même si des accords de partages d’offres ont été mis en place avec des plateformes privées. On peut ajouter les recrutements sans offres, à la suite d'une candidature spontanée. Les entreprises ne font en fait que marginalement appel à Pôle Emploi dans leurs processus de recrutement. Selon, la Dares, « les établissements ont fait appel à Pôle emploi pour 32 % de leurs recrutements. Pôle emploi a permis de recruter dans 11 % des cas » (enquête OFER 2016).

Comment alors « tracer » efficacement les offres et les processus de recrutements pour s’assurer qu’un chômeur fait les démarches, les fait sérieusement et qu’il accepte bien les offres qui lui sont proposées, quand seulement 11 % des recrutements passent bien par Pôle Emploi. Un contrôle serré sera forcément coûteux et très intrusif. Le système vise-t-il à contrôler plus qu'à permettre de retrouver un emploi ? Il y a un risque évident de créer un système complexe de déclarations et de visas. Cette forme de managérialisme et la contrainte technocratique qui l’accompagne pèseront surtout sur des publics fragiles, chômeurs de longue durée notamment, qui maîtrisent parfois mal les outils ou les codes d’un système complexe. A la fin, pour pénaliser une poignée de profiteurs, on prend le risque d’exclure ceux qui ont le plus besoin d’aide.

Quel niveau de contraintes imposer à des chômeurs parfois proches de la rupture sociale ou en forte déqualification ? N’oublions pas que les allocataires du RSA représentent près de 12 % (national : 16 %) des demandeurs d’emploi catégories ABC et 17 % pour la seule catégorie A (national : 22 %), soit les personnes sans aucune activité dans le mois.

Il existe d’autres points de vigilance. En passant d’un revenu de remplacement à une allocation, il serait envisageable de réduire ou d'exclure, sous conditions de ressources ou après des indemnités licenciement élevées, certaines personnes ; au moins pour un temps. Les premiers éléments visant la réduction des droits des cadres en sont un bon exemple. Une conséquence possible serait le développement de mutuelles ou d’assurances privées, comme c'est déjà le cas pour les retraites ou la santé. Ces organismes permettant de conserver une indemnité plus conséquente, avec même une contribution de l'entreprise. Avec un fort risque d’inégalité entre TPE, PME ou grande entreprise. Le risque serait aussi d’introduire des clauses complexes d’éligibilité – avec pour conséquence, comme pour le RSA, d’avoir une partie du public qui ne ferait pas les démarches et ne toucherait donc plus rien – ou de faire du niveau d'allocation la variable d'ajustement d’un système plus généreux en nombre de personnes couvertes. On construirait alors un système radin en revenu de remplacement pour les plus fragiles tandis que les plus aisés conserveront un filet de sécurité complémentaire. L'accent mis sur les économies dans la communication gouvernementale n'est guère rassurant.

Enfin, les allocataires du RSA représentant près 17 % des demandeurs d’emploi sans aucune activité en Corse, il y a une cohérence à créer avec les différents politiques de soutien aux personnes en situation de précarité sociale. Il se pose notamment la question du futur Revenu Universel d’Activité. Les réformes successives, bien que laissant peu de doute sur la direction générale, se font par morceau, presque en circuit fermé. Notamment, on ne décèle aucune volonté d’associer les collectivités locales. Or, dans le cas de la Corse, la Collectivité de Corse couvre les compétences dans les domaines de l’action sociale, de l’insertion, du soutien à l’emploi et de l’action économique. Les intercommunalités ont aussi une forte présence dans l’action sociale. Les problématiques du retour à l’emploi ou de l’insertion sont fondamentalement locales, elles demandent des réponses fines. Sans une articulation territoriale entre les acteurs (Etat, Collectivité, interco.) il manque de la cohérence et une concentration des moyens.

Mercredi 19 Juin 2019
Guillaume Guidoni