par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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L'économie de la méconnaissance


Article publié au mois de juin 2009 dans le magazine Corsica.



L'économie de la méconnaissance
Il existe un domaine en Corse sur lequel la classe politique arrive à se mettre d’accord : l’envie de développer l’« économie de la connaissance ». Concrètement, cette économie se caractérise par des entreprises employant des personnels issus de l’enseignement supérieur, principalement scientifique, et commercialisant des produits à fort contenu technologique. De plus, l’importance des dépenses de recherche et développement (R&D) est centrale dans ce modèle.

Cela paraît être une solution idéale pour diversifier le tissu économique de la Corse, trop centré sur des secteurs à faible qualification et à faible valeur ajoutée dans le tourisme, la distribution ou la construction. Le développement d’entreprises liées, par exemple, à l’informatique, aux énergies renouvelables ou aux matériaux composites mettrait l’innovation au cœur de la croissance et favoriserait la création d’emplois qualifiés et mieux rémunérés. Grâce à leurs compétences et à des produits à forte valeur ajoutée, ces entreprises seraient capables d’aller chercher des marchés à l’extérieur de l’île. Au final, ceci pourrait prendre le relais du couple tourisme/construction et générer une croissance durable.

Seulement, il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour poser le décor, comparons quelques éléments entre la Corse et les régions les plus innovantes d’Europe. Dans l’île, le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur, certes en amélioration, n’est que de 17 % des actifs, contre plus de 30 % pour les zones en pointe. Selon l’OCDE, le nombre de brevets déposés en 2005 pour 100 000 habitants est de 1,2 en Corse, contre plus de 28 en Finlande ou en Suède. De surcroît, les dépenses publiques de R&D sont globalement stables en Corse depuis 10 ans à 0,2 % du PIB, contre plus de 1 % pour les leaders, soit tout de même 5 fois plus. Au final, il n’est pas étonnant que l’île soit classée dans le dernier quart des régions européennes en termes d’innovation, à côté des autres régions méditerranéennes. Cette position s’explique par une faiblesse importante dans le secteur privé, conjugué à un manque d’investissement dans le domaine public.

Avec une position de départ aussi peu favorable, il est légitime de se demander s’il est réaliste de vouloir construire une Corse « terre de connaissance ». La réponse est, je pense, résolument oui. De nombreuses régions ont démontré que la fatalité n’existe pas et qu’il est possible d’orienter des politiques publiques de façon à faire éclore un tissu économique adapté, comme en Corée du Sud, ou Scandinavie. On pourrait objecter qu’il s’agit là de pays bien plus grands que la Corse. Mais, l’Islande, avec une population proche, a aussi réussi à se positionner comme une économie innovante. Elle produit 12 fois plus de brevets que la Corse et dépense plus de 3 % de son PIB en R&D. Si cette petite île connaît actuellement une grave crise économique liée à son système bancaire, son savoir ne s’est pas envolé. Autres exemples, la Sardaigne et les Canaries, deux îles aussi en queue de peloton. Depuis le début des années 2000, elles entreprennent de rattraper leur retard. Les dépenses de R&D, surtout publiques, y sont en hausse constante et ceci commence à diffuser dans le reste de l’économie.

Toutefois, pour réussir dans cette voie, il ne suffit pas de le dire, encore faut-il investir. Et massivement. Pour que les dépenses de R&D soit à 3 % du PIB (objectif européen), dont 1 % pour le public, cela représenterait plus de 150 millions d’euros (M€) pour les entreprises et 80 M€ pour le public en Corse. Or, dans les politiques prévues pour la période 2007-2013, le supplément de dépenses ne serait que de 30 M€ par an pour l’innovation, soit moins de 0,3 % du PIB. Et encore, une grande partie de cette somme est destinée à la construction de locaux et autres dépenses de structures. Cet effort reste très insuffisant pour avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie.

C’est là que réside le défi envoyé à la société corse et à ses représentants. Est-on capable de faire de la R&D un pilier central du budget de la CTC, comparable à la continuité territoriale (180 M€ en 2009) ou aux dépenses d’infrastructures (120 M€) ? Est-on capable de s’engager sur un tel montant pour plus de 10 ans ? Quels secteurs y perdront (le budget n’étant pas vraiment extensible en l’état) ? Lorsqu’il faudra répondre à ces questions et réellement s’engager, espérons que le consensus politique ne soit pas que de façade. Sinon, inutile de rêver à un avenir innovant.

Article publié au mois de juin 2009 dans le magazine Corsica.

Jeudi 20 Octobre 2011
Guillaume Guidoni