par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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Faut-il innover pour gagner de l'argent ?


La focalisation sur l’importance de changer d’échelle en termes de politique de recherche et développement (R&D) et d’innovation en Corse est une constante bien identifiée de corse-économie. Mais est-ce réellement un bon investissement ?



Faut-il innover pour gagner de l'argent ?
Des enquêtes qui montrent que l'innovation ne paye pas

Si le lien entre innovation et croissance a de nombreuses justifications théoriques (Schumpeter, théorie de la croissance endogène, productivité totale des facteurs…), il y a finalement assez peu d’études qui mettent clairement en lumière les retombées de l’innovation. Pour pousser les pouvoirs publics à dépenser dans la recherche (massivement dans le cas d’un plan R&D pour la Corse) ou les entreprises à investir pour innover, il faut bien se poser la question du retour sur investissement.

Or, plusieurs études sorties récemment par l’Insee (cf. thème innovation sur le site de l’Insee) font ressortir des résultats décevants. Notamment, il est noté qu’en « Corse comme en province, l’innovation ne se traduit pas par une meilleure rentabilité. En effet, le taux de marge brute d’exploitation des entreprises qui innovent est légèrement plus faible que celui des entreprises non innovantes (5 % contre 7 %). Les gains de productivité attendus par les entreprises innovantes ne sont donc pas immédiats. »

Alors tout ce tapage fait sur la 3e révolution industrielle ou sur l’importance de l’effort en R&D et innovation est infondé ?

Innover c’est quoi au fait ?

Premièrement, il faut regarder de quoi on parle en termes d’innovation. Celle-ci n’est pas réduite à son seul sens technologique*. L’innovation prend bien des formes : développement et commercialisation de nouveaux produits ou services, changement dans les processus de production, des méthodes de vente ou même du marketing. Les changements de management d’une entreprise ou de l’organisation des équipes sont aussi être vu comme des démarches d’innovation.

Une innovation peut aussi se faire de différentes façons :
- avec une équipe dédiée de chercheurs/techniciens/manageurs au sein de l’entreprise ou de l’organisation ;
- en payant une équipe externe (consultants, chercheurs du public, entreprises) ;
- en achetant de nouveaux matériels (logiciels, machines) ou de nouvelles techniques (formation, embauche de personnel spécialisé) ;

Ainsi, le processus d’innovation dépasse la seule vision industrielle, scientifique ou technique et concerne tout le monde, y compris dans les secteurs « traditionnels » et les services. L’innovation est un alliage de créativité, de savoir-faire, d’imitation (ou de copiage), de technologie, de marketing et d’audace.

En ce qui concerne la Corse, le rôle de l’innovation dans les entreprises a été étudié dans deux études menées par l’Insee en 2008 (La Corse surtout tournée vers l'innovation non technologique) et en 2010 (Les entreprises corses moins innovantes qu’au niveau national).

Il en ressort que les entreprises corses avaient des performances en termes d’innovation organisationnelle ou marketing supérieures à celles de la moyenne nationale (en 2008) ou proches (en 2010) mais sont moins innovantes en termes de produits ou de processus de production. Même si les différences de méthodologie entre les deux enquêtes rendent une comparaison difficile, il semble tout de même que l’importance de l’innovation au sein du tissu économique de l’île s’est effritée. Seules les entreprises des services (très en retard en 2008) semblent avoir augmenté leur effort d’innovation.

On a un effort réel dans l’innovation « tactique » (réduction de coût, amélioration de l’organisation…) mais largement insuffisant dans l’innovation non stratégique (nouveau produit et conquête de nouveau marché). Il semble que les performances décevantes en termes de retombées financières sont la conséquence de cet écart (cf. graphique ci-dessus).

Une innovation pas inutile mais défensive

Tout d’abord, il faut noter qu’une étude menée au plan national sur la période 2002-2006 montrait que l’innovation avait bien des conséquences positives sur les résultats des entreprises. Les entreprises innovantes, quelques soit leur secteur, gagnent des part de marchés par rapport à leur concurrents non innovants. Avec une exception, les services intellectuels (services professionnels, publicité-études de marché et l’architecture-ingénierie-contrôle) où il n’y a pas d’écart significatif.

Mais, elle notait aussi que les entreprises innovantes sont plutôt de tailles importantes, supérieure à 30 salariés. Que les dépenses étaient importantes, autour de 500 000 euros pour les innovations portant sur les produits ou les processus et 300 000 euros pour les innovations marketing. Des sommes exorbitantes pour les PME corses. De plus, l’impact le plus sensible était celui des innovations produits et procédés, nécessitant là encore de grosses dépenses (dépenses de recherche, nouvelles machines, personnel qualifié).

Il y a donc une logique que les PME, massivement de taille inférieure à 30 salariés dans le cas de la Corse, se tournent plutôt vers l’innovation tactique. Elles choisissent une approche plus défensive (ou de nécessité) pour s’adapter à la concurrence ou aux nouvelles pratiques sur un marché mature. Mais comme tout le monde ou presque le fait, c’est une course à l’échalote. Au final, on préserve les marges mais l’on n’a pas de gain significatif sur les résultats financiers car cela ne génère que peu de gains de part de marché et pas d’économie d’échelle. Mais, il ne faut pas en déduire que cela ne sert à rien. On préserve tout de même la performance de l’entreprise sur son marché.

En revanche, l’innovation stratégique se focalise logiquement sur de nouveaux produits ou marchés ayant une meilleure rentabilité (plus de marges). Mais, comme c’est très minoritaire, notamment en Corse, l’on n’observe pas d’impact sur l’EBE dans l’enquête.

Toutefois, au plan macro, dans les deux cas, on a bien plus d’investissement par nécessité ou par choix, donc plus de PIB (PIB = conso + investissement + solde des échanges). Et cette augmentation vient donc participer à augmenter le potentiel de croissance donc la richesse globale. L’innovation a bien un impact global positif.

Mais si le retour n’est pas plus clair, la machine se grippe. C’est évident pour les plus petites entreprises, qui ne peuvent se payer le luxe d’investir sans un retour rapide. Pour les TPE comme pour les grandes entreprises, les gains de productivité sont indispensables.

Formez les tous, l'innovation reconnaîtra les siens

Cela amène donc deux enjeux de politique publique. D’une part, ne pas sous-estimer l’importance du fait technologique qui nourrit l’innovation « de conquête ». Les économies performantes sur le plan de l’économie de la connaissance (y compris de petites économies comme l’Islande) sont aussi celles qui investissent le plus dans la recherche scientifique. Et, sur ce point, la Corse est dans les limbes.

De plus, pour une économie comme celle de l’île – avec des ressources humaines, entreprenariales et financières forcément limitées et une focalisation sur l’innovation défensive –, une stratégie d’innovation doit être opportuniste. Il faut permettre au tissu économique de capter les percées technologiques faites ailleurs, les adapter à notre outil de production pour rester dans la course. Les programmes de formation initiale et continue nécessaires existent au niveau de l’université, des CCI et d’autres mais il faut passer à la dimension supérieure. Ce qui nécessite d’ailleurs que les chefs d’entreprise en comprennent pleinement l’enjeu. De plus, le fait numérique doit être partout dans les formations, y compris les plus littéraires.

D'autre part, il faut diminuer le coût de l'innovation pour les plus petites entreprises. Le crédit d'impôt recherche est un instrument efficace pour les grandes structures mais inadapté pour les TPE (trop complexe administrativement). De plus, le management des projets est souvent trop lourd pour un chef d'entreprise qui doit en premier lieu s'assurer que son activité tourne bien aujourd'hui avant de penser à demain.

Des systèmes plus simples avec une prise en charge d'une partie des coût de management (chèque innovation, regroupement autour de projets portés par une agence de l'innovation régionale, mise à disposition d'outil informatique clef en main) pourraient utilement être expérimentés en Corse.

*Définition OCDE : « On entend par innovation technologique de produit la mise au point/commercialisation d’un produit plus performant dans le but de fournir au consommateur des services objectivement nouveaux ou améliorés. Par innovation technologique de procédé, on entend la mise au point/adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées. Elle peut faire intervenir des changements affectant – séparément ou simultanément – les matériels, les ressources humaines ou les méthodes de travail »

Vendredi 7 Novembre 2014
Guillaume Guidoni