Un emploi dynamique mais structurellement inchangé


Marché du travail en Corse



La croissance corse a été forte ces dernières années (3,1 % en moyenne entre 1996 et 2006) et il est indéniable que cela à eu un impact fort sur le marché du travail. Ainsi, la dernière livraison des chiffres du chômage confirme la bonne tendance, le taux pour le 2e trimestre ressortant en 1e estimation à 7,5 %, soit au plus bas depuis que la série existe (1982). Au 1er trimestre, le taux était à 7,9 %. Après une année 2007 assez décevante sur le plan du taux de chômage, ce dernier stagnant depuis le 2e trimestre de 2007, le fort recul enregistré est en ligne avec les évolutions des indicateurs disponibles, que ce soit l’emploi salarié dans le secteur marchand, le nombre de chômeur (cat. 1, 2e et 3 hors activité réduite) ou bien les offres d’emplois (cf. graphique du TBEC). De plus, c’est aussi raccord avec le fait que le secteur de la construction et le tourisme connaissent de bons moments.

Pour donner un peu de perspectives, voici retracée rapidement, l’évolution du marché du travail depuis la longue récession (il faudrait lui donner un nom, et j’ai pensé à « Crack touristique ») du début des années 90. La période de croissance qui a suivi s’est accompagnée d’un recul quasi-continu du taux de chômage, hormis une pause en 2002, passant de plus de 14,1 % en 1997 à moins de 8 % en 2008. Le nombre de chômeurs, mesuré par les chiffres de l’ANPE recule ainsi de 50 % entre le T2 1997 et le T2 2008, soit 7 400 personnes de moins. Cette chute est encore plus marquée pour les chômeurs de longue durée, pour qui le recul est de 76 % entre les 1er semestres 1998 et 2008, -3 600 chômeurs (moyenne sur la période). Au final, en moyenne sur l’ensemble de 2007, la Corse comptait 9 660 chômeurs, dont 1 300 de longue durée (supérieur à 1 an).

Toutefois, ces performances ne la placent pas parmi les îles les plus performantes du groupe de comparaison (îles méditerranéenne et Islande), le taux de chômage harmonisé de la Corse étant l’un des plus élevés, comparable à celui de la Sardaigne et des Canaries, avec 11,3 % en 2007, contre 6,5 % à Malte, 4 % à Chypre, 7 % aux Baléares et… moins de 2 % en Islande (le taux de chômage harmonisé d’Eurostat est plus élevé par construction que celui publié par l’Insee, j’y reviendrai). Toutefois, au plan national, le chômage en Corse a convergé vers la moyenne, l’écart avec le taux de chômage français est faible en 2008 (7,2 % pour la France métro), alors qu’il dépassait 3 points en 1997.

L’amélioration sur le marché du travail est principalement imputable à la vigueur des créations d’emplois. Selon l’enquête annuelle de l’INSEE, l’emploi total passe de 82 300 à 106 800 employés entre 1996 et 2006, soit une progression moyenne de 2,6 % par an, un résultat remarquable. Plus près de nous, les estimations pour l’emploi salarié privé montre des rythmes de progression autour de 2,7 % par an depuis 2006 (+3 % au T2 2008). Ce dynamisme est partagé à la fois par l’emploi salarié et l’emploi indépendant (14 % de l’emploi total en 2006), ce dernier ayant bénéficié de créations d’entreprises en constante augmentation sur la dernière décennie.

Le détail sur l’emploi salarié permet de décomposer les performances par secteurs des créations de postes. Il n’y a pas de vraie surprise concernant les plus importantes contributions sectorielles. En 1e position, les services marchands (commerce, transports, services aux entreprises, activités financières et immobilières), qui concentrent 42 % de l’emploi salarié, sont aussi les principaux créateurs d’emplois avec environ 1 200 emplois créés par an en moyenne entre 1996 et 2006, le rythme étant quasiment identique entre commerces et autres services marchands. Viennent ensuite les services non-marchands, soit le secteur public, qui conservent un poids massif dans la structure de l’emploi de l’île. Ce secteur concentre 40 % de l’emploi salarié en 2006 et représente le quart des créations d’emplois salariés depuis 96. Enfin, le 3e grand contributeur à l’emploi de l’île est le secteur de la construction, où les créations d’emplois ont toutefois été très vives et nettement plus rapides que dans les autres secteurs. Le poids dans l’emploi salarié total de ce secteur s’est donc logiquement accru depuis 1997, passant de 8 à près de 10 % du total. L’industrie a contribué positivement mais marginalement aux créations d’emplois, un phénomène qui toutefois est loin d’être spécifique à la Corse, la plupart des économies d’Europe de l’Ouest connaissant une stagnation ou de régression de l’emploi dans l’industrie depuis les années 90. Enfin, l’agriculture a créé moins de 100 emplois salariés entre 96 et 2006.

Si vous allez voir les graphiques dans la section marché du travail du TBEC vous constaterez que sur la période récente, les créations d’emplois dans le privé ont été particulièrement fortes dans les secteurs « traditionnels » de la Corse, à savoir l’immobilier et les services/commerces, tirés par le tourisme mais aussi par la croissance globale, ce qui est logique dans un univers largement tertiaire. Néanmoins, l’industrie si elle contribue peu à la création totale d’emplois du fait de sa petite taille dans l’économie, s’en sort bien.

Si l’amélioration sur la dernière décennie est indéniable sur le marché du travail, la situation observée en 2008 est encore loin d’être acceptable. Premièrement, le taux de chômage est parmi les plus élevé du groupe de comparaison. La Corse est donc encore loin du plein emploi.

Deux choses, en passant, sur le taux de chômage. Premièrement, on ne dispose pas comme sur le plan national, du « halo » du chômage, c'est-à-dire des éléments permettant de mesurer la précarité du travail (mi-temps, contrats précaires…), exception faite de l’intérim, qui est quantité négligeable sur l’île (en tout cas dans les chiffres de la Dares). Deuxièmement, le taux de chômage est une mesure imparfaite du « réel » comme toutes statistiques. La stat dépend de la façon dont elle est construite et des conventions que l’on impose dans la définition de ce qu’on mesure. Ainsi, les chiffres d’Eurostat sont plus hauts que ceux de l’Insee, par convention et construction. De même ceux que j'ai calculé à partir des chiffres de recensement sont aussi nettement au-dessus (18 % en 1999 et 13 % en 2005).

Pour moi, le débat sur les « vrais chiffres » du chômage n’a pas vraiment d'intérêt. Ca change quoi qu’ils soient à 7,5 ou 8,1 %… Ce qui compte vraiment c’est la tendance (2 chiffres pour le chômage au sens du recensement, c'est pas vraiment pratique pour en tirer des infos sur la conjoncture), la comparaison (mettre en perspectives les performances relatives entres différentes économies, voir ce qui explique les écarts, donc mieux apprécier les forces et faiblesses de chaque système), la stabilité (casser le thermomètre parce que les chiffres ne conviennent pas revient à renoncer d'expliquer correctement les dits chiffres) et la connaissance des limites (par exemple le fameux halo).

Revenons à nos moutons. Les difficultés persistantes sur le marché du travail sont également visibles à travers les chiffres sur le taux d’emploi (proportion de personnes disposant d'un emploi parmi celles en âge de travailler de 15 à 64 ans). En effet, le taux de chômage ne prend en compte que les actifs inoccupés et cherchants un travail. Ceci met de côté une partie de la population qui, face aux problèmes rencontrés dans l’accès à l’emploi, renoncent et sortent des statistiques du chômage. Le taux d'emploi reflète donc mieux la capacité d'une économie à utiliser ses ressources en main-d'œuvre que le taux de chômage. En Corse, seul 57,5 % de la population en âge de travailler est active en 2005. C'est nettement mieux qu'en 1999, où le taux était d'un minable 51 %, mais finalement assez proche de 1990 (54,4 %), ce qui pour le coup est pas vraiment glorieux au vu des performances de l'emploi ces dernières années. Cela montre que la dépression qu'a connu la Corse au début des années 90 a profondément marqué le marché du travail et qu'il a fallu une longue période de croissance pour retrouver et dépasser les niveaux pré-crise.

Désolé il n’y a pas mieux que 2005 à ma connaissance, toutefois, ce sont des grandeurs qui ne changent que sur plusieurs années. Donc, même si les taux doivent être en 2008 un peu plus haut (de quelques dixièmes probablement), l’idée générale reste correcte. Seules Malte (55 % en 2006) et la Sardaigne (51 % en 2006) font moins bien. Ceci est très éloigné de l’objectif pour 2010 du processus de Lisbonne, qui est de 70 % ; alors que la plupart des pays du groupe de comparaison ont atteint, ou sont proches, de ce niveau. Le taux d’emploi est particulièrement faible chez les femmes et les travailleurs âgés (entre 55 et 65 ans), avec respectivement 49 et 35 %.

De plus, le marché du travail reste fortement marqué par la saisonnalité (voir TBEC ou bien les chiffres non désaisonnalisés de l’emploi salarié sur le site de l’Acoss), qui concernent plus particulièrement les secteurs des services et, dans une moindre mesure la construction en été.

Selon l’INSEE, en 2005, l’activité touristique a généré 14 700 emplois, dont 10 500 étaient des postes de saisonniers. Or, la saison touristique ne durant que 7 mois en moyenne, le nombre d’emplois salariés en équivalent temps plein (en équivalent CDI) tombe à 6 800. Au total, 44 % des postes durent moins d'un an contre 37 % en moyenne nationale. Avec l’essor du secteur touristique des dernières années, cette saisonnalité s’est accentuée depuis, les variations de l’emploi salarié étant plus importantes en 2007 en nombre et en %, qu’au début de la décennie 2000.
Cette saisonnalité se retrouve dans l’évolution du nombre de chômeurs, qui passe par un point bas dans l’année au 2e trimestre et par un plus haut au 4e trimestre. Cette variation du chômage est relativement stable depuis 2000 et concerne environ 3 600 personnes en 2007. On observe ici un décalage important avec le nombre d’emplois saisonnier (10 500) qui ne s’explique pas par l’importation de main-d’œuvre extérieure (environ 3 500 saisonniers extérieurs contre environ 7 000 pour la Corse). Une explication plausible est la non-inscription au registre de l’ANPE, qui concerne les étudiants.

Au final, la marché du travail a connu des performances remarquables ces dernières années, parallèlement avec l'essor de la construction et les bons résultats touristiques. Toutefois, il n'y a pas eu de révolution ni dans la structure sectoriel de l'emploi, ni dans la saisonnalité. Fondamentalement, le marché reste le même qu'il y a 10 ans, il a juste été translaté vers le haut (ce qui est déjà bien quand même).

On pourrait aussi parler du problème des rémunérations, les secteurs les plus porteurs employant de la main d’œuvre peu qualifié, ou bien un emploi saisonnier impliquant logiquement une rémunération annuelle plus faible qu’un plein temps. Mais, le temps coûte cher en ces moments de crise financière…

Jeudi 18 Septembre 2008
Guillaume Guidoni