Surella d'Islanda


La Corse est souvent comparée aux Baléares, à Malte ou à la Sardaigne. Mais ces îles présentent toutes le désavantage d’être plus peuplées ou d’être en dessous en termes de performances économiques. L’intérêt d’une comparaison est aussi de pouvoir tirer des leçons sur ce qui peut mieux marcher ailleurs. L'Islande devient alors une autre option.



L'Islande, point de comparaison lointain mais instructif

De ce point de vue, l’Islande, grande île peu peuplée perdue au milieu de l’Atlantique Nord, nous apporte des enseignements originaux en termes de choix de développement économique par rapport à nos camarades méditerranéennes.

Ces dernières années, cette petite économie insulaire a régulièrement été sous les feux des projecteurs. Victime spectaculaire de la crise financière, avec l’effondrement de son système bancaire, elle s’est redressée avec une rapidité étonnante.

Depuis 2010, l’Islande a une croissance largement supérieure à celle observée dans les autres pays européens. Ce pays de 350 000 habitants atteint un produit intérieur brut (PIB) de plus de 20 milliards d’euros en 2018, près de 3 fois celui de la Corse pour presque autant d’habitants. Avec 63 000 euros par tête, l’île est parmi les leaders en termes de richesse dans l’OCDE. Dans beaucoup de classements internationaux (indicateur de développement humain, égalité femme-homme, qualité de vie, précarité…), l’Islande se situe systématiquement dans le groupe de tête.

Pourtant, c’est une économie avec un tout petit marché intérieur, en marge des flux d’échanges internationaux, éloignée des grands centres économiques américains ou européens. En 1970, le PIB par habitant islandais était inférieur de 48 % à la moyenne des pays développés. Membre de l’espace économique européen, l’île applique toutes les règles du marché intérieur, hormis dans l’agriculture et la pêche. Refusant de rejoindre l’UE, elle ne bénéficie d’aucune aide économique ou de la politique agricole commune. Et pour ce qui est des surcoûts liés à l’insularité, la position géographique de l’Islande n’est pas la meilleure.

Comme pour la Corse, les raisons de douter de la capacité de croissance de cette économie sont donc très nombreuses. Mais, nécessité faisant loi, les Islandais se cherchent peut être moins d’excuses.

Au-delà d'un romantisme, une économie résiliente

En 2008, l'Etat islandais a bien laissé faire défaut à ses trois plus grandes banques, dont la taille était démesurée par rapport au PIB, provoquant une grave crise financière. Loin du mythe du défaut tranquille, ce fut un traumatisme profond. Loin de la vision romantique du petit peuple qui aurait résisté face à la grande finance internationale, il a fallu honorer les dettes et affronter la récession. En 2009, le PIB par habitant a reculé de 7 % puis de 3 % en 2010. Dans le même temps, le taux de chômage passait de 3 % à 8 %.

Pour éviter la catastrophe, le pays a eu recours au FMI. Le fonds monétaire a prêté 2,1 milliards de dollars. Les autres états nordiques et la Pologne ont aussi participé. Avec cet argent, l'Etat islandais a nationalisé et recapitalisé les 3 grandes banques. Il a rétabli le contrôle des capitaux pour stopper l’effondrement de la couronne, notamment avec la suspension de la liberté pour les Islandais de changer leur monnaie. La banque centrale locale a relevé son taux d’intérêt directeur jusqu'à plus de 18 % en fin 2008.

Une large part des dettes des banques vis-à-vis des créanciers étrangers fut réglée en vendant les actifs des banques nationalisées. Malgré cela, leur sauvetage a été très coûteux pour les finances publiques, environ 30 % du PIB. Sans aide, cela aurait été impossible. Le FMI resta très souple avec l'Islande, permettant de différer l'austérité budgétaire pour amortir la crise. Si il faut trouver des grands perdants, ils ne sont pas du côté des grands financiers mais de celui des contribuables britanniques et néerlandais... La leçon à retenir de cette grave crise est bien plus dans la capacité à composer avec les règles, à faire le dos rond en acceptant les pertes et à avoir une gestion très rigoureuse des finances publiques que dans un aventurisme fantasmé.

Depuis 2010, la résurgence de l’Islande montre une autre facette de ce pays, la résilience de son économie. La première partie des années 2000 fut celle de la démesure. Mais sous la surface, l’Islande possède une structure économique solide. Le pays est jeune. La natalité y est l’une des plus fortes des pays européens. Il est très ouvert, l’immigration (en provenance de Pologne surtout) permettant de répondre aux besoins en main d’œuvre générés par la situation de plein emploi.

Une nouvelle crise qui pointe

Le modèle de croissance est diversifié. Le secteur de la pêche reste un poids lourd. L’île a capitalisé sur son potentiel géothermique et hydraulique pour produire une énergie peu chère, attirant les industriels de l’aluminium. Le pays a investi dans la recherche et le développement, avec une intensité près de 10 fois plus élevée que celle de la Corse. Un noyau dur d’entreprises innovantes est très actif à l’international.

Enfin, particularité de cette décennie, le tourisme est devenu un nouveau pilier de l’économie islandaise. Attirés par le succès de la série télévisée Game Of Thrones, par le dynamisme de son secteur des transports et par une communication sur sa nature préservée, les touristes sont 2,4 millions en 2018. Leur nombre a quintuplé en 10 ans. L'Islande compte désormais plus de salariés dans le secteur que la Corse, avec des emplois mieux payés et moins saisonniers. Le secteur pèse près de la moitié des exportations du pays.

De ce rebond ressort deux constatations majeures. D’une part, sur la façon dont l’Islande a su gérer les retombées économiques de l’afflux touristique. Le pays est cher. Il n’a jamais joué la carte du grand public ou du séjour à bas coût, sauf sur un point : le transport aérien. Cette capacité à attirer et à faire payer donne une croissance avec des emplois stables et bien rémunérés. La croissance a eu des retombées importantes sur les autres secteurs, de l’alimentation, aux loisirs en passant par la construction. Il y a clairement là des choses à apprendre pour nous en Corse.

D’autre part, cette croissance s’est accompagnée de la formation de déséquilibres économiques importants. Une nouvelle crise n’est pas impossible. La faillite en mars 2019 de la compagnie aérienne Wow, spécialisée dans les vols transatlantiques à bas coût, en est la preuve. On pourrait aussi parler de la surfréquentation des sites naturels, avec son cortège de dégâts sur l’environnement. Ou de la dégradation de la qualité de vie à Reykjavik, la hausse des prix de l’immobilier étant exacerbée par la mise en location à grande échelle via AirBnB et consort. La gestion du surplus de déchets, très largement enfouis et peu triés, est difficile. L’expérience islandaise nous interpelle là encore.

Comme nous, l’Islande n’a jamais sérieusement envisagée une politique de régulation à grande échelle pour encadrer l’activité touristique. Ni sur le plan fiscal, ni sur le plan de l’accès aux sites sensibles. Quand l'argent arrive avion après avion, c’est très impopulaire de mettre un frein au développement de ce secteur. Observer comment l’île va encaisser les turbulences actuelles sera très intéressant.

La recherche d'un modèle ou d'un contre-modèle n'a guère de sens. Chaque économie a ses forces et ses défaillances. Il faut savoir porter un regard sur les deux aspects. Et l'Islande, avec son expérience et ses choix, a énormément à nous apprendre.

Mercredi 17 Juillet 2019
Guillaume Guidoni