La Corse et la crise financière




La crise financière qui touche actuellement l’économie mondiale se déroule loin de la Corse. Pour autant, cette dernière n’est pas du tout à l’abri de ses conséquences. En effet, cette crise peut rapidement avoir un impact sur l’île via trois canaux principaux : l’immobilier dans un premier temps, puis le tarissement des crédits aux PME et le tourisme à plus longue échéance. Je développe ci-dessous l’impact le plus rapide et important pour moi, à savoir celui sur l’immobilier.

Depuis le début de la décennie, le marché résidentiel a connu une dynamique explosive en Corse. Ainsi, les prix de l’immobilier pour les ventes de promoteurs dans le neuf grimpent en moyenne de 9 % par an depuis 2000. Entre 2000 et 2007, les prix ont progressé de près de 83 %. Ce mouvement s’est accompagné d’une hausse soutenue de l’investissement résidentiel, comme l’illustre les mises en chantier qui progressent de 125 % entre 2000 et 2007 (de 1 600 à 3 600). Ainsi, que ce soit directement via l’investissement-logement, ou à travers les créations d’emplois, la contribution de la construction à l’économie a été massive. De plus, la valeur totale des transactions immobilières enregistrées en Corse a suivi la même dynamique explosive, le total passant de 545 millions d’euro (neuf + ancien) pour l’ensemble de l’année 2000, à 1 207 millions en 2007, soit +121 %. Ainsi, le poids des transactions est passé de moins de 9 % du PIB (la richesse produite en Corse) à environ 20 % du PIB de l’île. Cette progression est une illustration de l’euphorie qui touche ce secteur depuis maintenant 10 ans. Ceci a profité aux vendeurs, qui en ont tiré un revenu (effet de richesse immobilière). De plus, même si les statistiques manquent, il est vraisemblable que les loyers ont aussi suivi une tendance haussière, ce qui a profité aux propriétaires.

Les ménages corses ont massivement eu recours au crédit pour financer leurs acquisitions immobilières. Depuis 1997, on observe pour les crédits-logement (qui sont au cœur des réflexions actuelles) une forte accélération de l’encours, sur un rythme moyen de 13 ½ % par an. Les dernières statistiques continuent de pointer vers une hausse soutenue, avec + 14,6 et +14,4 % sur un an respectivement en juin et juillet. En évaluant ce que cela représente rapporté aux revenus (le revenu disponible brut ou RDB), l’endettement immobilier (une partie donc de l’endettement total) des ménages corse est passé de 18 % du RDB en 1997 à environ 30-40 % en 2007 (données projetées pour le RDB qui n’est pas disponible après 2005), la dette immobilière pesant 1 808 millions d’euros en 2007. Ce mouvement a été soutenu par des taux d’intérêt historiquement bas entre 2003 et 2006. Le taux d’endettement des ménages a donc bondi, même si les niveaux restent en deçà de ceux observés au niveau national et même dans les autres pays européens (par exemple, les pays scandinaves sont endettés à plus de 250 % du revenu disponible au Danemark et 150 % en Suède).

C’est ce recours à l’endettement qui pose problème dans le contexte actuel. En effet, d’une part les taux sont remontés, ce qui renchérit le coût des nouveaux emprunts et désolvabilise une parti des acquéreurs, mais surtout la crise financière actuelle provoque un renchérissement du coût des ressources bancaires et se traduit par un durcissement des conditions d’accès aux crédits. La faiblesse financière des banques conjuguée à une surévaluation vraisemblable des prix immobiliers forment un cocktail détonnant pour l’immobilier.

L’évolution récente des indicateurs (je vous renvoie aux notes sur les droits de mutation, le crédit et les permis) ne matérilisent pas encore clairement une dégradation de l’immobilier, mais les signaux sont devenus mitigés, alors qu’ils étaient franchement bons auparavant.

Or, les répercussions sur l’ensemble de l’économie d’une récession immobilière attendue seront non négligeables. Premièrement, le poids de l’investissement dans les activités de promotions immobilières, soit 250 millions d’euro d’investissement en 2005 en partant des données Eurostat (attention elles ne comptabilisent pas l’ensemble du secteur c’est donc potentiellement plus élevé), est conséquent. De plus, l’impact sur le marché du travail sera non négligeable. La part de l’emploi dans la construction dans l’emploi salarié total est passée de 7,8 à 10 % entre 1996 et 2006. Dans le même temps, ce secteur a été responsable de près de 3 700 créations d’emplois salariés. Si l’activité doit retourner sur les niveaux de 2000, cela représente 2 800 destructions d’emplois salariés et 900 non salariés, soit une hausse du chômage vers 10 % de la population active (7,5 % au 2e trimestre 2008).

Pour les deux autres impacts, pour les PME, le gel du crédit peut mener à des défaillances et donc à des pertes d’emplois. Les dernières statistiques ne sont pas rassurantes sur ce point. Enfin, sur le tourisme, il est impossible de prévoir l’impact sur la saison prochaine, mais la récession du début des années 90 (cf. graphique) est une illustration de la gravité d’une dégradation de l’activité touristique.

Pour les grands équilibres macroéconomiques de la Corse, voir cette note.


Mercredi 8 Octobre 2008
Guillaume Guidoni