par Guillaume Guidoni
Corse-Economie
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Derrière la reprise, le danger de la complaisance


La reprise semble pointer le bout de son nez. Mais, elle ne doit pas nous satisfaire.



Le modeste exercice de scénario pour les perspectives économiques pour la Corse est mis à jour et prolongé jusqu'en 2017. Il reste dans la continuité des attentes déjà soulignées, à savoir une année 2015 encore décevante puis une reprise plus sensible en 2016/17 (reprise déjà anticipée dans la version de mai 2014 du scénario). Mais dans ce cadre, la reprise ne modifiera pas la donne sur le chômage ou le niveau de vie du plus grand nombre.

En effet, même avec un retour à une croissance forte, les problèmes accumulés, notamment côté marché du travail (RSA + chômage de longue durée : près de 11000 personnes dans l'île, soit presque 10% de la population active en situation de précarisation et déqualification) ne se réduiront pas rapidement. Il faut une croissance forte et durable pour y arriver. Or, même si l'on peut se réjouir de l’amélioration économique largement liée au choc sur le pétrole et la fin des hausses d'impôts, cette reprise reste très fragile. Le potentiel de croissance est un vrai problème. Il est soit affaibli (pays développé), soit en diminution (Chine, Amérique Latine). Les effets tant attendus et pour l’instant toujours invisibles de la nouvelle révolution technologique arriveront peut être mais nul ne sait quand. En Corse, le modèle de croissance, en place depuis plusieurs décennies, n’a pas dévié d’un iota durant la crise. Or, là aussi la croissance potentielle est en fort ralentissement (démographie chancelante, insuffisance des gains de productivité, insuffisance de l'investissement en innovation et R&D).

Ainsi, cette reprise économique ne doit pas s’accompagner de complaisance. Cette dernière nous a déjà touché en 2008-2011, quand le discours dominant était celui de la "Corse protégée par sa singularité économique". Aujourd'hui, trois formes de complaisance font encore des ravages.

Il y a ceux qui pensent que la république ne s’écrit qu’avec des grandes majuscules. Que l'Etat peut tout, que l'Etat sait tout et que seules les politiques nationales servent à quelque chose. Mais, ils oublient qu’égalité n’a jamais signifié uniformité et que l’Etat est paralysé par son inertie bureaucratique, par la généralisation d’une vision court-termiste dans son action mais aussi par sa volonté de continuer malgré tout à jouer les stratèges omniscients. Or, la « taille unique » n’a pas plus de sens pour mener une politique économique intelligente que dans le monde de la mode. Et pour faire du sur-mesure, compter sur un préfet nommé pour 2 ans ou un cabinet de ministre lointain semble un peu illusoire.

Une autre forme de complaisance est de croire que la recherche du statut constitue l’alpha et l’oméga de la pensée économique. Cette vision dénote à la fois d'un manque d’originalité par rapport à la bureaucratie centralisatrice (friante elle aussi de statuts, qui permettent un confort en "cadrant" administrativement la gestion des problèmes) mais aussi de la recherche d’une forme de fixisme. Figer la réalité économique, les normes sociales ou encore les droits politiques comme réponse aux évolutions de la société ou des technologies n’est pas un programme économique mais une chimère. Sauf peut être en Corée du Nord.

Enfin, il y a aussi la tentation de croire que rien ne sert à rien et la forme de renoncement qui l’accompagne. C’est le Janus corse : une face avec un égo surdimensionné, un complexe de supériorité qui pousse à demander la lune en termes politiques ; une face dépressive qui conduit à vouloir un peu de tout mais renonçant à tout projet un tant soit peu conséquent ou original en termes économique. Ben oui : on est trop petit, pas assez ceci ou cela, le secteur privé n’est pas assez fort, le secteur public n’a plus d’argent, les routes ça coûte cher, les transports c’est cher…

Dépasser ces complaisance, parfois mêlées d'ailleurs, est ambitieux. Mais peut être est-ce cela qui nous manque aujourd'hui. Une ambition, une envie de victoire. Peut être faut-il s'inspirer du foot en Corse qui semble réussir plus souvent qu'il n'échoue ?

Mercredi 25 Novembre 2015
Guillaume Guidoni